Préambule : il s’agit d’une époque lointaine, Fred Rouhling était alors le seul français dans le neuvième degré. Le 8B bloc et le 8c représentaient le très haut niveau. Il fallait mettre une pellicule dans les appareils photos pour faire des images...
Début juillet 1999, Pierre Bollinger enchaînait son troisième 8b+ avec Ghetto blaster dans le Frankenjura (Allemagne).
À peine rentré en Alsace il me contactait et nous repartions dans le temple de la force pour trois jours.
Dès son arrivée il s’est offert en trois petits essais Stone Love, une voie mythique du secteur de l’Eldorado. Libérée en 1988 par Jerry Moffat, il s’agit d’une référence en 8b+.
Soucieux de rentabiliser le séjour il enchaina Das Phantom 8a/a+ le lendemain.
Dernier jour sur place, les conditions sont mauvaises, il pleut, la plupart de ses projets sont mouillés, il finira tout de même par se rabattre sur Amadeus Schwarzenegger 8a+.
Nous devions prendre la route du retour mais il était encore tôt, on s’est alors dit qu’il était dommage de ne pas avoir de souvenir de la grosse croix faite dans Stone Love.
La petite barre déversante de l’Eldorado est visible depuis la route, et alors que les essuies glaces fonctionnent encore nous découvrons que la voie est occupée. C’était rageant, mais en nous rapprochant nous nous sommes rendu compte que la voiture garée sur le parking était immatriculée en France. Cela nous laissait une petite chance, car ni Pierre, ni moi, n’étions partants pour expliquer en anglais que nous souhaitions faire deux trois photos à la va-vite.
À l’abri dans la voiture nous observons la cordée pendant des minutes qui nous paraissent interminables…les grimpeurs pendent au bout de la corde sur les trois quatre spits de la voie et nous avons l’impression qu’ils ne s’arrêteront jamais.
Nous prenons notre courage à deux mains et allons à leur rencontre. Arrivés au pied de la falaise je reconnais le grimpeur. C’est une star bleausarde qui vient de faire les gros titres du magasine Grimper pour son ascension d’un 8B bloc.
À notre arrivée ils expliquent à Pierre que les conditions sont exécrables, les prises humides et qu’il n’y a rien de possible aujourd’hui.
Quand Pierre leur demanda s’ils pouvaient tout de même nous laisser la voie cinq minutes, j’ai su que le moment risquait d’être magique (à nos yeux bien sur).
Pour les photos c’était simple, car la topographie des lieux permettait d’être à la hauteur du grimpeur sans être sur une corde, donc oui en très peu de temps nous pouvions être efficaces. J’ai pris un parapluie (il pleuvait toujours), mon boitier Pentax, un 135mm fixe et j’étais prêt. Le show pouvait commencer. Libéré de la pression de la réussite, Pierre fit une démonstration de force. Il grimpa au ralenti, me demandant si cela allait pour moi, s’il fallait qu’il désescalade, qu’il recommence. Aucune remarque sur les prises glauques, juste des fermetures assurées et contrôlées. Arrivé au bout de ma pellicule de 36 poses, Pierre s’arrêta de grimper.
Après avoir remercié la cordée française nous avons sauté dans la voiture direction l’Alsace.
Impossible à l’époque de savoir si les images allaient être correctes ou pas, mais le retour fut enjoué.
Épilogue : Bien que prises sous la pluie, avec une luminosité faible, nous avons pu utiliser les photos.
Quelques semaines plus tard, nos amis bleausards ont pu découvrir Pierre dans Stone Love en couverture de Grimper. Ce type de « séance photo » correspondait tout à fait à ce que nous faisions : rendre compte d’une ascension dans les conditions réelles. Bien loin de la mise en scène, du choix du moment, de la couleur de la corde, etc..
>> La galerie photo « escalade en Allemagne »
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